Logo_1.jpgLes libraires ont gagné une bataille contre Amazon. Le 3 octobre dernier, le gouvernement a proposé à l'Assemblée nationale le texte suivant (il a été définitivement adopté le 26 juin 2014 et Amazon propose des frais de port à 1 centime depuis le 10 juillet 2014 NDLR) :

«Lorsque le livre est expédié à l’acheteur et n’est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, le prix de vente est celui fixé par l’éditeur ou l’importateur. Le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % de ce prix sur le tarif du service de livraison qu’il établit.».

L'Assemblée nationale l'a voté, le Sénat l'a reçu le jour-même. Le texte sera bientôt adopté et l'addition de frais de port gratuit+remise de 5% sera bientôt interdite et Amazon ne pourra bientôt plus offrir ce double avantage à ses clients. Les libraires qui réclamaient cette loi depuis des années, parlant de concurrence déloyale, ont gagné, avec en bonus le vote commun des députés de droite comme de gauche. Et après?

Cette loi va-t-elle profiter aux libraires? Aux clients? Amazon va-t-il réellement en pâtir?

En effet, la loi sur le prix unique du livre n'a pas empêché les clients des librairies traditionnelles d'aller acheter leurs livres d'abord dans les grandes surfaces culturelles (Fnac, Virgin, Cultura...) puis dans les supermarchés (Carrefour, Leclerc ou Auchan...) et enfin sur Internet (Amazon, Fnac, Priceminister...)
Or, que l'on parle de la politique commerciale agressive d'Amazon (1), de ses entrepôts allemands gardés par des entreprises proches de partis d'extrême-droite ou de son optimisation fiscale, Amazon augmente tous les jours le nombre de ses clients et son chiffre d'affaire en France.
Les politiques auraient-ils voté -à l'unanimité- cet amendement à la loi de 1981 sur le prix unique du livre (2) en sachant que son efficacité serait limitée? Qu'elle ne profiterait que peu aux librairies indépendantes et -encore pire- pas du tout aux clients (tous des électeurs potentiels) qui in fine devront payer un peu plus qu'avant?

Enfin, le paragraphe le plus important n'est pas forcément celui que l'on croit. Voici ce que déclarait la Ministre de la culture dans sa même allocution devant l'Assemblée nationale jeudi 3 octobre dernier :

"Faire respecter l’esprit de la loi Lang, c’est bien sûr rétablir les conditions d’une juste concurrence face à des acteurs de l’économie mondialisée, des géants du numérique qui bénéficient d’avantages concurrentiels, comparatifs pourrait-on dire, liés à des stratégies connues d’optimisation fiscale extrêmement agressives. Le Gouvernement a engagé un plan très ambitieux pour soumettre à un impôt juste l’ensemble de ces sociétés, qu’on appelle les GAFA, l’acronyme qui désigne Google, Apple, Facebook et Amazon ; il a d’ailleurs été présenté à la Commission européenne la semaine dernière. Sans même attendre ces dispositions fiscales, nous avons aussi l’impérieuse nécessité d’agir pour empêcher un détournement de la loi sur le prix unique du livre de 1981."

C'est dit. Il y a un autre détournement de la loi sur le prix unique du livre de 1981 qui n'est pas du tout résolu : l'optimisation fiscale. Et là, c'est une tout autre affaire... L'avenir des librairies françaises indépendantes ne se joue pas en ce moment au Parlement mais à Bruxelles ou les lobbyistes de Amazon, Google, Facebook et autre Apple font une cour effrénée aux parlementaires européens afin que ces derniers votent des lois favorables à leurs intérêts et à leurs possibilités d'externaliser leur C.A. et leurs bénéfices afin de payer le moins d'impôts possible en France. La mère de toutes les batailles pour les libraires?



Édito publié le 8 octobre 2013 Corrigé le 26 juin 2014


(1) Amazon c'est 61 milliards$ de CA (en 2012), 141 milliards$ de capitalisation (7/10/13) et 1,49 millions de visiteurs/jour sur le 2eT 2013 en France soit 75% de plus que fnac.com .

(2)"Il convient aujourd’hui d’améliorer les conditions de régulation du secteur du commerce du livre. L’amendement du Gouvernement, qui va dans le même sens que ce que vous proposiez, monsieur le rapporteur, vise à interdire le cumul du rabais de 5 % et de la gratuité des frais de port. Nous serons ainsi fidèles à l’esprit de la loi Lang, qui permettait un rabais de seulement 5 %, dans un objectif de fidélisation des clients et seulement à l’initiative des libraires. Ce rabais ne doit pas pouvoir être cumulé avec un autre avantage commercial, la gratuité des frais de port". Intervention d'Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, à l'Assemblée nationale, jeudi 3 octobre 2013.

(3) (voir à ce sujet "Évasion fiscale : le hold-up du siècle" diffusé sur ARTE en septembre 2013)