L__ordinateur_du_paradis.jpgBenoît Duteurtre est un faux dilettante qui construit une oeuvre sur l'absurdité de notre époque et le paradis en est la pire synthèse : administration, flicage, hygiénisme. pas la peine de mentir, le "Très-Haut" sait tout sur tout le monde.

Ainsi, son personnage Simon Laroche va apprendre à ses dépends qu'on entre pas au paradis comme dans un moulin. C'est plutôt une administration comme les autres, avec ses salles d'attentes uniformes, la langue anglaise comme sabir, des installations vétustes et un personnel peu avenant. Après avoir rencontré un psy (il vient de mourir donc il faut l'aider à encaisser) un avocat (il ne se rend pas compte mais il est coupable) il attend que l'on veuille bien le laisser entrer au paradis.

Avant d'arriver là, Simon Laroche était le patron de la Commission des Libertés Publiques jusqu'à ce qu'il "dérape" lors d'une émission de radio sur l'interdiction des images porno sur internet… dont il est un gros consommateur. Pour un instant de spontanéité, il se retrouvait à terre, soumis à un concours de crachats numériques. Benoît Duteurtre fait des allers-retours entre le Paradis et la Terre pour mieux décrire les dérives de notre société. Après la dénonciation des fumeurs dans La petite fille et la cigarette, c'est l'internet et ses corollaires : surveillance, flicage, délation, répression, détournement des informations personnelles, qui sont au coeur de l'ordinateur du paradis.

L'ironie mordante et burlesque nous fait rire aux éclats, mais jaune aussi, car le "droit à l'oubli" sur le Net n'existe pas. Au contraire ! Le cloud est la plus grande armoire aux secrets de tous les temps. Les secrets des criminels, des banquiers et des hommes politiques bien sur, mais aussi ceux de milliards d'anonymes. Toutes leurs conversations électroniques et téléphoniques, leurs connexions à tchoupi.fr ou grosnichons.com, tout est enregistré, stocké, fiché pour des décennies. Même si chacun "supprime" consciencieusement son "historique", son "cache" ou encore vide sa "poubelle"…

L'absurde est le royaume de Benoît Duteurtre. Chaque scène, sur Terre comme au Paradis, est prétexte à pointer du doigt les travers de la civilisation occidentale. Saint-Pierre devant Wikipedia en train de se plaindre de l'absence de son patron est l'image parfaite du quotidien des vivants comme des morts ! Benoît Duteurtre oppose à cette mécanique redoutable que l'on puisse se perdre, flâner, déambuler - s'ennuyer même! - par une promenade hors du temps, seul avec nous même ou les personnes que l'on aime sans que chacun de nos gestes soient enregistrés, fichés, analysés pour que l'on reçoive - in fine- des propositions commerciales que l'on pas sollicité.

L'ordinateur du Paradis est un livre infiniment plus profond qu'il n'y parait. C'est un avertissement - un nouveau dans l'oeuvre de Benoît Duteurtre - pour dire qu'il est encore temps de stopper la machine et de revenir à un monde plus humain. Le Goncourt !

L'ordinateur du paradis
Benoît Duteurtre
Gallimard
Coll. Blanche
214p. 17,50€
Août 2014

Article publié le 7 octobre 2014.