C'est une certaine idée de la France qui vient de disparaître. Une idée ou la culture, l'intelligence et le savoir l'emportaient sur la grossièreté, la vulgarité et le populisme.
Une idée ou réciter des paragraphes entiers des Mémoires d'outre-tombe de François-René de Chateaubriand relève du partage de la culture, de la reconnaissance du talent de l'auteur du Génie du Christianisme comme de l'excellence de l'enseignement reçu à l'École Normale Supérieure.
Une certaine idée de la langue française qui offre tant de possibilités de cabotiner, de jongler, de jouer avec ses mots et leurs sens, leurs sonorités, leurs particularités en faisant confiance à l'esprit et à la culture de son interlocuteur pour ne pas avoir à se répéter ou pire à traduire en un langage vulgaire. Imagine-t-on Jean d'Ormesson utiliser l'écriture inclusive ?
Une idée d'une France ouverte et où l'on prenait le temps de discuter, de se disputer à propos de tout et de rien, avec sa famille, ses amis, des inconnus autour d'un bon verre de vin sans se fâcher pour autant, pour tout ou pire pour rien. L'art de la conversation à la française.
Une idée de la lucidité, de l'humilité devant l'histoire de la littérature dans laquelle il n'osait imaginer sa place. Il ne s'est jamais vraiment projeté au-delà de sa mort, c'est pourquoi son entrée dans le catalogue de la Pléiade l'a rendu si heureux, rassuré qu'il était de cette poussière d'éternité qu'offre la Pléiade.
Une idée de la transmission de l'amour de la littérature à sa fille (qui porte l'un des plus beaux prénoms de la littérature française), du partage des valeurs d'exigence et de rigueur devant l'œuvre.
À notre époque, si grossière, vulgaire et prétentieuse, il est tout naturel que les français se soient émus - nombreux - de la disparition de Jean d'Ormesson. Non, un monument national n'est pas parti, mardi 5 décembre 2017, mais un homme humble et lucide et avec lui une certaine idée de la France.
Thomas COUTENCEAU
Le 8 décembre 2017
Crédit Photo : Catherine Hélie_Gallimard