LA_zone_d_interet.jpgRENTRÉE 2015 Le manuscrit de La zone d'intérêt a été refusé par Gallimard sans motif officiel (1). Pourtant, la grande maison avait publié les douze derniers livres de Martin Amis. Coïncidence ou non, il a aussi été refusé par son éditeur allemand. Martin Amis ne pensait pas qu'écrire sur l'Holocauste lui procurerait autant de déboires. Pourtant, Martin Amis ouvre un nouveau chapitre de la littérature sur la Shoah.

En effet, il prend de l'altitude avec le massacre quotidien - décrit avec précision par les survivants comme Primo Levi, Élie Wiesel, Jorge Semprun ou Robert Antelm - et démontre combien le comportement des nazis relevait d'un "quotidien" assassin c'est-à-dire arrivée des trains/tri/extermination ou esclavage/combustion des corps. C'est sans doute un des premiers romans qui ne prend pas l'extermination des hommes, des femmes et des enfants comme centre du livre avec des nazis autour mais le quotidien des nazis comme centre du livre avec des fours crématoires, des baraquements sordides et des chambres à gaz autour. C'est peut-être ceci qui a choqué. Mettre en périphérie le massacre et se concentrer sur des hommes et des femmes au comportement monstrueux.

Il en est ainsi du commandant Doll et de son épouse Hannah (qui ne cesse de se rebeller) et leurs deux filles (deux jolies blondes) qui vivent dans une maison à côté du camp. Une maison proprette avec une bonne et un jardinier. Le commandant aimerait honorer sa femme plus souvent mais elle refuse systématiquement et il est trop souvent bourré. Angelus Thomsen aimerait faire plus ample connaissance avec Hannah Doll mais la mort peut être au tournant si l'on s'approche trop de l'épouse du commandant qui, comme chacun sait, a droit de vie et de mort sur tout le monde, les SS prétentieux compris. Enfin, Smulz est la mémoire indestructible du camp. Il est le chef des Sonderkommando et porte la mort des âmes brûlées par ses soins sur ses épaules.

Je ne sais pas si Martin Amis connait Pierre Desproges mais les bulles d'humour suspendues qu'il nous offre - les yeux au beurre noir du commandant et le dialogue entre le commandant et cette vieille dame qui s'indigne de l'absence de wagon-restaurant - dans le nuage de cendres qui surplombe la Zone sont de la même légèreté et de la même subtilité.

La Zone d'intérêt est un grand roman, dérangeant - c'est peu de le dire - mais aussi intelligent et fin dans sa description de l'inqualifiable comportement d'êtres humains à l'égard d'autres êtres humains.

(1) (lire l'interview accordée par l'auteur àl'Obs)

La zone d'intérêt
Martin Amis
Calmann-Lévy
traduit de l’anglais par Bernard Turle
400p. 21.50 €
19 août 2015