BUSSI-Michel.jpgINTERVIEW DE MICHEL BUSSI
Lauréat du Prix maison de la presse 2012 pour son roman "Un avion sans elle" (éd. Presses de la Cité).
Des propos recueillis par Marie-Albéric Hallermeyer pour La Tribune de la Vente.

Ce normand né en 1965, politologue, professeur de géographie à l'université de Rouen et auteur, enchaîne les vies, les superpose même. Lauréat du Prix maison de la presse 2012 pour « Un avion sans elle », publié aux Presses de la Cité, l’auteur intrigue autant que ses romans.

La Tribune de la Vente : Pourriez-vous vous présenter rapidement à nos lecteurs ?
Michel Bussi : Je publie des romans depuis sept ans, mais je les écris depuis que je suis en âge de tenir un stylo. Un avion sans elle est mon sixième roman. Lorsque je n’écris pas, je suis professeur de géographie à l’Université de Rouen, où je dirige un laboratoire CNRS.

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Tdv : Question traditionnelle : pourquoi écrire ? Pourquoi du polar ?
Michel Bussi : Je ne me suis pas réveillé un matin avec l’envie d’écrire un livre… Ou alors, c’est le matin où je suis né, avec l’envie d’inventer des histoires. C’est ainsi, les histoires trottent dans ma tête et les écrire est l’un des moyens les plus simples de les faire sortir. Le hasard a voulu que mon premier roman soit un polar et que cela fonctionne… Mais j’ai dans mes tiroirs des contes pour enfants, des univers de science-fiction, des énigmes historiques. Cela dit, quel que soit le genre littéraire dans lequel je pourrais m’essayer, je pense que la construction de mes romans resterait la même, c'est-à-dire une envie folle de faire courir mes lecteurs et lectrices après mes personnages, mes rebondissements et si possible, de les manipuler pour mieux les emmener où je veux.

Tdv : Comment est né votre livre : " Un avion sans elle" ?
Michel Bussi : Mon rythme de vie commande ma façon d’écrire. En général, les idées naissent un peu au hasard. Je les laisse murir et je les développe progressivement, par petite touche, au fil des années, dans le train, dans les embouteillages, sous ma douche…. Le plus difficile, dans cette compilation d’idées, est de choisir celles qui composeront le prochain roman. Alors, pendant environ un an, disons de septembre à juin, je construis dans ma tête les scènes, la psychologie des personnages, les lieux ; avec la plus grande précision possible, je monte mon film…. Puis je rédige le corps du texte en quelques semaines, pendant l’été. Reste alors des relectures, au moins plus d’une dizaine, c’est la phase la plus longue. L’idée d’un avion sans elle est donc née il y a plus de vingt ans et s’est affinée progressivement…

Tdv : Ce roman est différent des autres. En parallèle de la rigueur toute scientifique de votre intrigue, vous glissez la problématique des paradoxes spatio-temporels, de l'identité. Les certitudes scientifiques vous semblent-elles infondées que vous tentiez de les contre-balancer, ou s'agit-il d'autre chose ?
Michel Bussi : C’est vrai, à y repenser, presque tous mes romans naviguent entre passé et présent. Cela relève même sans doute de l’obsession… A propos des certitudes scientifiques, s’il y a bien quelques chose qui m’ennuie, c’est le réalisme des enquêtes policières, l’idée qu’un bon écrivain de polar devrait forcément avoir un conseiller spécial au sein d’une gendarmerie, devrait faire relire ce qu’il écrit par des professionnels, ou, mieux, être policier lui-même… Bien entendu, tout doit être vraisemblable, vérifié, cohérent. Mais pour le reste, vive l’imagination ! Je trouve plus jouissif, pour l’auteur comme le lecteur d’inventer tout ce qu’on ne connait pas. C’est sans doute pour cela que dans un avion sans elle, l’énigme commence avant que les tests ADN n’existent… Mais des années plus tard, lorsqu’ils seront possibles, loin de résoudre l’énigme, ils la compliqueront plus encore. L’idée que la solution se découvre simplement en ouvrant un journal, 18 ans plus tard, me semble bien plus forte que si elle avait été résolue scientifiquement par une armée d’experts.

Tdv : Dans votre roman, vous mettez en scène deux personnages typiques du roman policier : le flic et le détective privé ? Entre les collections de polars "intellectuels" et de polar "populo et politique", où placez-vous votre travail ? Peut-on sortir, pour le polar français, de l'alternative plagiat américain / petit texte peaufiné pour le style ?
Michel Bussi : Bien entendu, il y a de la place ! Et je pense même qu’il y en a toujours eu. Il existe une vraie tradition de roman policier en France, basée sur des grandes fresques populaires, un ancrage régional souvent fort, et surtout une véritable liberté de style et de narration : pour n’en citer que quelques-uns, Jaffrelot, Magnan, Exbrayat, Boileau-Narcejac… Je placerais volontiers mes romans dans cette tradition des romans populaires à grande liberté de ton, nourris peut-être d’une pointe de modernisme dans la narration (la vitesse, l’action, le sang, le sexe…). Je ferai volontiers le parallèle avec la variété française par rapport au rock américain. Je suis un enfant des Souchon, Renaud, Cabrel, Higelin… Je rêve d’atteindre cette capacité à créer un univers personnel qui puisse toucher le plus grand nombre.

Tdv : Participez-vous aux festivals et différentes manifestations autour du roman noir ? Connaissiez-vous le Prix maison de la presse auparavant ? Avez-vous reçu d'autres prix ? Ont-ils eu des impacts sur votre vie d'auteur ? Sur votre création artistique ? Avez vous été beaucoup sollicité par la suite ? Quand vous rencontrez vos lecteurs, quels compliments ou reproches vous adressent-ils ?
Michel Bussi : J’ai eu la chance, avec mon précédent roman Nymphéas noirs, d’être invité dans la plupart des salons polar nationaux, car mon roman était souvent sélectionné pour le prix du festival. Le monde des polardeux est une famille diverse et sympathique, très accueillante pour les petits nouveaux… Le prix maison de la presse est mon 12ème prix littéraire… J’ai eu la chance que presque tous mes romans soient primés et il est clair qu’à chaque étape, ces prix m’ont ouvert des portes. Je ne suis pas un jeune surdoué pour lequel les maisons d’édition se sont battues en découvrant le premier manuscrit. J’ai gravi les marches une à une, en commençant par publier chez un éditeur régional… A chaque fois, ce sont ces prix littéraires, presque toujours des prix de lecteurs, qui ont permis que mes romans soient repérés. Ils sont peut-être même la seule opportunité pour qu’un roman soit repéré dans l’immensité de la production nationale et internationale. L’avantage de la rencontre avec les lecteurs, c’est qu’ils ne vous contactent, par mail ou sur les salons, que lorsqu’ils ont vraiment beaucoup aimé les romans. C’est très bon pour l’égo de l’écrivain, surtout quand les lecteurs et lectrices vous avouent qu’ils sont passés du rire aux larmes, de la peur au soulagement, du sentiment d’avoir percé l’énigme au plaisir de s’être fait bluffer. Je connaissais le prix maison de la presse, bien entendu, pour avoir lu bon nombre des romans primés depuis qu’il a été créé. Si je suis heureux d’avoir ce prix ? Oui ! Enormément ! Pour moi, l’écriture est un partage, pas pour une introspection.

Tdv : Qu’est-ce pour vous être un auteur de romans noirs ? Que pensez-vous de la définition de Robin Cook, concernant le noir : « C’est mettre le doigt là où ça fait mal » ?
Michel Bussi : Pour ma part, je ne la reprendrais pas à mon compte. Le frisson, la peur, la peine ne sont que quelques-unes des émotions possibles. Selon moi, les polars racontent des vies ordinaires. La dimension policière, c’est la caisse de résonnance, c’est le mégaphone des sentiments. Les crimes, les secrets, les trahisons, les vengeances sont des artifices qui permettent de multiplier les émotions au carré, de créer de l’extraordinaire. Mais le fond de la psychologie des personnages reste le même. En cela, c’est peut-être une solution de facilité, mais je l’assume complètement. Je serais incapable d’écrire une histoire ordinaire.



Tdv : Avez-vous un autre roman en chantier?
Michel Bussi : Oui, sans doute très loin de la Normandie cette fois-ci… mais chut… La destination est encore secrète !



Des propos recueillis par Marie-Albéric Hallermeyer pour La Tribune de la Vente.