tout_piller_tout_bruler.jpgWells Tower publie chez Albin Michel Tout piller, tout brûler. A cette occasion, il nous a donné une interview dans laquelle il nous livre son sentiment sur les Américains d'en bas qui sont les héros souvent malheureux de ses magnifiques nouvelles.

Lalettredulibraire.com : Vos personnages ont rarement droit au bonheur, pourquoi ?
Wells Tower : Je ne crois pas qu’ils n’aient pas droit au bonheur. Je trouve plutôt kitch d’accéder au bonheur sans travail, sans lutter. Kitch dans le sens ou Milan Kundera l’entendait dans L’Insoutenable légereté de l’être c’est à dire l’absence d’emmerdement.

Lalettre : Un sentiment de trahison est souvent présent chez vos personnages ?
W.T. : Ce n’est pas délibéré de ma part d’être glauque, car être trompé et humilié est plus simple à restituer dans une nouvelle. On peut ainsi mieux révéler ses personnages.

Lalettre : Sont-ils représentatifs des américains moyens, des classes moyennes dont on parle peu dans les médias?
W.T. : Je ne m’intéresse pas à cette Amérique qui est une fiction. Je pense que cela vient de ma carrière de journaliste quand j’ai commencé à faire des reportages sur les américains qui sont en bas de l’échelle. Le premier gros papier que j’ai fait était sur les personnes qui travaillent dans les fêtes foraines. C’est à partir de la que le Washington Post m’a demandé de faire des reportages importants et longs sur les chauffeurs routiers et les salariés de Wal-Mart, les joueurs de poker et les employés de centres téléphoniques. En commençant ces longs articles, j’étais dans l’immersion pendant un mois ou plus afin de coller à leurs vies et la restituer dans des articles de 7000 à 8000 mots. La vie de la majorité des américains ordinaires est à l’opposée de la vie américaine glamour d’américains glamours qui ont des boulots glamours à Hollywood vendue par la télévision. J’aime enquêter comme Florence Aubenas et j'aimerais le faire davantage. Après le premier papier, le Washington Post m’a demandé de couvrir la campagne de George W. Bush et de l'infiltrer en tant que bénévole républicain.

Lalettre : Tout piller, tout brûler, la dernière nouvelle de votre recueil, est d’une violence inouïe par rapport aux autres, pourquoi?
W.T. : Cette nouvelle est née d’une discussion avec des amis sur les Vikings et les atrocités qu’ils commettaient, à l’encontre des moines notamment. Parmi ces violences figurait « l’aigle de sang ». Pendant la discussion, mes amis se demandaient s’ils pourraient exécuter ces atrocités qui sont d’une grande sophistication. En fait, j’ai décidé d’avoir des personnages, des Vikings, qui sont contents d’aller à la guerre mais qui en ont marre. Ils sont blasés. J’aime construire des personnages que l’environnement social transforme en personnages violents, ce qui ne fait que banaliser leur violence.

Lalettre : Que pensez-vous du livre numérique ?
W.T. : En tant qu'auteur, je n’en pense pas grand chose. Je trouve ça assez terrible, pas du tout sain. Je pense que le numérique, c’est l’inverse de la conscience littéraire. Hors les écrans, Internet, les e-books sont à l’opposée de la relation que je me fait avec un livre. Ces technologies sont contraire à la lecture. Il y a quelques technologies qui dissipent le pouvoir des mots.

Lalettre : A cause du numérique, y-aura-t-il une disparition des mots ?
W.T. : Il y a un relâchement de la langue avec l’utilisation d’Internet des s.ms. ou des blogs et par conséquent un impact non négligeable sur l’appauvrissement du vocabulaire. Ces technologies sont utiles pour diffuser une information mais c’est fait sans vocabulaire aucun. Je crois, en effet, qu’il a un effet toxique sur la littérature que l’utilisation abusive des écrans et d’internet. Quand j’étais petit, j’étais fier de penser que j’avais une relation intime avec un texte, un auteur et son livre. Aujourd’hui, Internet expose tout et réduit la part d’intimité qui nous relit à un auteur, à un texte. La lettre est réduite par internet.

Tout piller, tout brûler
Wells Tower
Albin Michel
Coll. Terres d'Amérique
240p. 20€.
Mai 2010.

Remerciements : Wells Towers, Francis Geffard, Claire Lajonchère, éditions Albin Michel.