Jorn Riel, auteur des célèbres RACONTARS ARCTIQUES était de passage en France, la semaine dernière, pour les 3e Assises Internationales du roman, ainsi que pour la promotion de LA MAISON DES CELIBATAIRES (livre lu par Dominique Pignon). Le 2 juin 2009, Jorn Riel nous a accordé un peu de son temps pour évoquer la littérature, l'avenir du pôle nord ou la camaraderie et la nature, qui sont les piliers d'une vie par -40° au Groenland. Jorn Riel, bientôt 80 ans, a eu plusieurs vies. Tout d'abord eskimologue et ethnologue, il parcourt ensuite le monde entier pour les Nations Unies en tant qu'officier civil. Il s'installe enfin en Malaisie pour "se décongeler" dit-il."
L'ensemble de son œuvre est publiée, en France, aux éditions Gaïa.
Lalettredulibraire.com :
Votre premier livre a été publié grâce à un libraire itinérant du Groenland qui vous a subtilisé un manuscrit pour le présenter à un éditeur. Vous lui en avez voulu longtemps ?
Jorn Riel : Non, je n'ai pas été en colère. Il m’a fait une faveur, au contraire. Mais par la suite, j’ai été plus prudent avec mes manuscrits !
Lalettre : Est-ce que vous auriez présenté de vous-même votre manuscrit à un éditeur ?
J.R. : Non, je ne l’aurais jamais fait. J’avais une vie bien remplie et j’avais des amis qui écrivaient mais qui n’étaient jamais publiés. C’était impensable pour moi !
Lalettre : Est-ce que vous seriez publié aujourd’hui ?
J.R. : Oui, je pense que oui. Je suis publié depuis 1968. Ce qui m’étonne, c’est que mes livres restent populaires encore aujourd’hui.
Lalettre : La nature et la camaraderie sont au cœur de vos racontars. Vous n’avez pas l’impression que les deux disparaissent aussi vite l’une que l’autre au contact de la civilisation égoïste et matérielle du XXe siècle ?
J.R. : Non, cette civilisation n’est pas encore arrivée dans le Nord-Ouest du Groenland. Par contre, l'esprit de camaraderie a disparu en Europe. On n’a plus le temps de se faire des amis alors que au Groenland, on ne survit pas sans amitié, ni solidarité.
Lalettre : Le mode de vie Inuit d’aujourd’hui est-il toujours le « communisme rêvé » pour le reste du monde ?
J.R. : Il existait auparavant. Aujourd’hui, c’est plutôt la social-démocratie qui domine leur mode de vie. Néanmoins, en 1917 les communistes sont venus pour étudier le mode de vie Inuit basé sur la solidarité, qui est le même depuis toujours !
Lalettre : Vous avez quitté les Nations Unies, où vous étiez officier civil, à cause de la corruption qui y régnait. Vous détestez toujours les hommes politiques ?
J.R. : Je ne les aime pas parce qu’ils corrompent tout.
Lalettre : N'y en-a-t'il pas un qui fasse exception ?
J.R. : Non.
Lalettre : La fonte des glaces devrait permettre le passage de navires de commerce voire de supertanker par le passage du Nord-Ouest au Groenland. Est-ce que vous pensez, un jour, voir la route Amundsen ouverte à la navigation, comme Suez et Panama au XIXe ?
J.R. : Oui, je pense que je le verrait, mais je ne l’espère pas. L’ouverture de la route du Nord-Ouest serait une véritable catastrophe .
Lalettre : L’indépendance du Groenland serait une bonne ou une mauvaise chose ?
J.R. : Ce serait une très bonne chose. Si le Danemark la propose...
Lalettre : En 1968, les USA ont perdu une bombe atomique (2) près de leur base de Thulé et
en 2008, les Russes plantent un drapeau à 4000m sous le Groenland. En 50 ans, l’Arctique est devenue une des zones militaires les plus stratégiques et les plus dangereuses de la planète. Comment voyez-vous l’avenir du Groenland ?
J.R. : Je ne pense pas que l'Arctique soit la zone la plus dangereuse du monde, car elle est surveillée par les satellites. Je ne pense pas non plus que cette position stratégique soit si dangereuse pour le Groenland.
Lalettre : Après le Groenland, vous vivez aujourd'hui en Malaisie, à Kuala Lumpur. Est-ce que l'on écrit différemment par -40° ou + 40° ?
J.R. : Non, j’écris sur le Groenland depuis la Malaisie et sur la Malaisie depuis le Groenland.
J’ai d'ailleurs écris trois ou quatre livres sur la Malaisie dont un seul a été traduit aujourd’hui, il en reste trois ou quatre à traduire.
Lalettre : Vous qui aimez tant vivre loin de tout, Internet doit vous combler ?
J.R. : Ce n’est pas important pour moi. Pour ma femme et pour mes filles et mon fils, oui ! Depuis Kuala Lumpour, je discute avec l’Italie ou l’Afrique, et de temps en temps je lis quelques journaux scandinaves, mais c’est tout.
Lalettre : Est-ce que, dans les livres que vous n’avez pas encore publié, il y a des racontars de Malaisie ?
J.R. : Non, il n’y a pas de racontars sur la Malaisie. C’est impensable de faire des racontars sur la Malaisie. J’ai des romans à faire traduire sur le Laos ou la Thaïlande, ainsi qu'un 11e racontar à paraître en France. Je suis en train d’écrire le 12e racontar et un roman historique sur la Scandinavie.
Jorn Riel sera de retour en France à l’automne pour le festival Les Boréales, à Caen. La dix-huitième édition, du 9 au 29 novembre 2009, met à l'honneur le Danemark, les îles Féroé et le Groenland, aux côtés des quatre pays nordiques.
Remerciements : Jorn Riel, les éditions Gaïa et Béatrice Hentgen.
(1) Tous publiés aux éditions Gaïa et dans 15 langues en tout.
(2) Le 21 janvier 1968, un bombardier américain s'écrase près de la base militaire de Thulé. Le Pentagone n'a jamais retrouvé la bombe atomique de 984 kilos et 1,1 mégatonnes. D'après les documents déclassifiés du Pentagone à l'automne 2008, "une telle masse d'eau a dû dissoudre la radioactivité de la bombe"....