C'est dans un hôtel discret près de Montparnasse que Yiyun Li nous reçoit pour parler de son premier roman. Très souriante, elle est déconcertée qu'on puisse la comparer à Colum Mccann et son magnifique Et que le monde poursuive sa course folle. Et pourtant...
Lalettredulibraire.com : Le destin de votre héroïne est-il l’incarnation de tous les maux de la République Populaire de Chine : bourrage de crâne, torture mentale, endoctrinement, assassinat ?
Yiyun Li : Non, je ne suis pas convaincue qu’il y est une héroïne unique dans mon roman. chaque personnage apporte sa propre vérité dans une forme de chorale.
La Lettre : L’espoir est-il le héros absent de votre roman ?
Y.L. : Oui, j’ai vécu dans une petite ville ou il y avait une culture du héros, de l’héroïne, athée. Ou il y avait l’idée de martyre, le monde était présenté en noir et blanc. Hors, le monde est une palette de gris. Sans le héros, le monde récupère l’ espoir.
La Lettre : La culture, le savoir, l’éducation ont été les principales cibles de la Révolution Culturelle. Le professeur Gu, le père de la jeune femme exécutée, est un survivant isolé. L’éducation peut-elle affronter la barbarie?
Y.L. : C’est toujours mon espoir. L’éducation peut aller dans deux directions opposées : la première peut libérer les esprits et les éclairer. La seconde peut tromper tout un peuple comme la Révolution Culturelle l’a fait. Ainsi toute une génération a eu une éducation « révolutionnaire » plus proche de la propagande que de l’éducation et a provoqué tout ces crimes. L’éducation doit permettre de lutter pour devenir indépendant plutôt que de suivre aveuglément un parti.
La Lettre: La politique de l’enfant unique donne-telle une dimension tragique supplémentaire à votre roman?
Y.L. : Le roman se passe en 1979, juste avant la politique officielle de l’enfant unique au début des années 80. Les enfants abandonnés étaient uniquement des filles par des gens qui n’en voulaient pas. Ce problème est un héritage culturel qui sera aggravé par la politique de l’enfant unique.
La Lettre : A aucun moment ou presque on ne parle de tribunal, de procès, de justice. La terreur et l’injustice sont partout. Comment faites-vous pour l’entourer de poésie à chaque page ?
Y.L.: C’est très difficile à dire. Je pense que les choses horribles qui arrivent dans mon roman et qui étaient dans mon esprit –j’ai inventé ce livre- ne pouvaient pas être écrites seules. C’est pourquoi, j’ai choisi de trouver de bons moments, je pense à ce couple qui récupère les fillettes abandonnées. Ces moments de poésie ont été très nourrissant pour moi car il ne faut pas tout regarder en noir, c’est pourquoi je me suis beaucoup appuyé sur ces petits moments d’espoir.
La Lettre : Chez vos personnages, il n’y a ni colère ni haine vis-à-vis du Parti, du communisme et des crimes que l’on connaît. On a l’impression que les sentiments de révoltes – qui sont le fond de commerce du Parti Communiste – on disparu.
Y.L. : Oui et non car ce ne sont pas seulement les dix années de la Révolution Culturelle qui sont en cause. C'est depuis 1949 que la la terreur fonctionne. Si vous faites croire ceci vous faites ceci en fonction, c’est-à-dire en fonction de ce que dit le Parti Communiste. Après deux ou trois générations éduquées comme cela, le Parti avait annihilé tout sentiment de révolte. Chacun devait rester à sa place pour rester en vie et ne pas craindre pour sa sécurité.
La Lettre : Comment passe-t-on de l’immunologie à l’écriture ?
Y.L. :C’est une des choses les plus mystérieuses qui soit. On ne sait pas pourquoi on doit faire les choses. On sait qu’il faut les faire, ainsi c’est plus juste. Je n’étais pas une mauvaise scientifique mais je n’étais pas assez motivée. Je rêvais d’être écrivain, j’ai donc décidé d’abandonner ma carrière scientifique. Il aurait été impossible de vivre sans devenir écrivain.
Un beau jour de Printemps
Yiyun Li
Éd. Belfond, avril 2010.
456p. 21,50€.
Remerciements : Yiyun Li, éditions Belfond, Diane du Perier et Pascale Fougère pour sa traduction.
Propos recueillis le 14 avril 2010.