gout_des_pepins_de_pommes.jpgC'est dans les locaux de sa maison d'édition française, Anne Carriere, que Katharina Hagena nous reçoit. Elle est heureuse d'être là, à Paris, heureuse d'être publiée, heureuse de vendre des millions d'exemplaires à travers le monde de son Goût des pépins de pommes.

Lalettredulibraire.com : La mélancolie est-elle une drogue pour vous ?
Katharina Hagena : Je pense que c’est une question intéressante. Je ne suis pas sûre que la perte mène à la mélancolie mais en tout cas le sentiment de perte produit le souhait de compléter quelquechose. Le sentiment de perte est aussi important dans le processus de création et dans le besoin que j’ai d’écrire.

Lalettre : Regrettez-vous votre enfance ?
K.H. : Non, je suis heureuse d’y avoir survécue.

Lalettre : Avez-vous peur de perdre la mémoire ?
K.H. : Oui, c’est d’ailleurs une des sources de ma création. Ce qui nous ramène d’ailleurs à la mélancolie et à la raison du début. Il y a en effet un sentiment de perte contre lequel j’essaye de lutter en écrivant.

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Lalettre : Il y a une réelle sensualité dans votre roman, à travers les parfums et les odeurs et dans les relations entre les personnages.
K.H. : Je ne pense pas qu’il y est une opposition à la brutalité. Il y a par contre compréhension du manque de l’absence une capacité de sentir, de réaliser l’intensité de mes sens à travers l’écriture. Aiguiser les sens est tout à fait en adéquation avec le sentiment de perte dont on parlait précédemment Il y a en effet une forme d’anxiété au départ de l’écriture. Par contre, la brutalité n’est pas tout à fait absente de mon roman, sans doute moins brutale que cruelle, il y a une façon plus subtile d’être brutal.

Lalettre : Comment gérez-vous votre succès ?
K.H. : Au départ, personne n’était au courant que j’écrivais un roman. Je travaillais à l’université, et j’ai eu mon deuxième enfant. Hors, en Allemagne, les femmes qui ont des enfants ne sont pas sensée faire autre chose que de s’en occuper. Il fut donc facile de garder le secret, sinon je parlais d’un essai. Seulement trois ou quatre personnes étaient au courant. Quand d le livre est arrivé sur la place publique, le succès a été plus que violent, la surprise a été forte.

Lalettre : Ce roman est-il autobiographique?
K.H. : Non, sinon, je n’aurais pas publié car c’est artificiel. chaque mot est à sa place. J’ai réussi à dépersonnaliser ma mémoire et à faire en sorte que ce roman ait son existence propre, indépendante. Ce livre ne m’appartient plus et ce n’est pas regrettable, c’est même ce qu’il y a de merveilleux avec la littérature. C’est pourquoi, j’aime autant les lectures publiques de mon roman afin de me réapproprier un peu mon roman.

Lalettre : On est tenté de penser à Proust et au temps qui passe.
K.H. : J’admire Proust et je suis très flattéee ! D’ailleurs, dans mon roman, les madeleines ont un gout de pépins de pommes. Proust était obsédé par le temps et la mémoire, et je me sent très proche de Proust comme tout auteur devrait l’être. Pour moi, la mémoire c’est la fiction.

Lalettre : Avez-vous entamé l’écriture de votre second romand ? Est-ce difficile ?
K.H. : Je n’ai pas vraiment commencé et puis j’ai essayé de me débarrasser de la pression en écrivant des romans pour enfants, mais ça n’a pas marché. De plus, l’écriture me manque en ce moment ou je suis accaparée par la promotion de mon roman et de cette nouvelle célébrité. Je me sens un peu comme l’administrateur de mon roman. Ce qui fait que je n’arrive pas à écrire en ce moment.

Lalettre : Votre éditeur (1) vous laisse-t-il le temps d’écrire ce second roman ?
K.H. : Oui, il est très intelligent, gentil et sage. Il ne veut pas tirer la créativité par la force.

Lalettre : Combien d’exemplaires du Goût des pépins de pommes avez-vous vendu dans le monde ?
K.H. : Il est vendu dans18 pays, 18 langues et le nombre augmente tout le temps.

Lalettre : Est ce que votre livre est un antidote à la société brutale et rapide dans laquelle nous vivons tous les jours ?
K.H. : Je ne sais pas ce que les lecteurs trouvent dans mon roman. En tout cas, je n’ai pas essayé de construire un univers rassurant, idéal, je n’ai pas de volonté utopique. Par contre je crois qu’il y a un sentiment puissant et oppressant de lutter contre l’oubli qui agresse et oppresse le monde aujour’hui. Dans le livre, la mémoire est attaquée, comme celle de Bertha, Ils pensent qu’elle va disparaître.Il y a un faux sentiment de refuge.

Lalettre : Quel conseil de lecture donneriez-vous à nos lecteurs ?
K.H. : Les élixirs du diable de Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (éd. Phébus, coll. Libretto).



Le goût des pépins de pommes
Katharina Hagena
éd. Anne Carrière.
Janvier 2010.
27 avril 2011 en poche, lgf.

(1) L'éditeur français de Khatarina Hagena,Stephen Carrière, assure la traduction de cette interview.

Entretien réalisé le 09 juin 2010.
Remerciements : Katharina Hagena, Anne-Sophie Naudin et Stephen Carrière, éditions Anne Carrière.