1762 pages imprimées tout petit qui nous offrent un portrait extraordinaire de la presse française au XIXe siècle. Dix ans de travaux ou presque pour en arriver au bout, quatre groupes de recherches, soixante chercheurs spécialistes en histoire littéraire, histoire politique ou culturelle. Un index des noms de personnes de vingt-sept pages, un index des titres de journaux de vingt-trois pages et enfin, une bibliographie monumentale de quatre-vingts quatre pages et mille trois cents cinquante entrées!
À l'occasion de la publication de La civilisation du journal histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle YANNICK DEHÉE, le directeur de Nouveau Monde éditions et Dominique Kalifa, un des quatre directeurs de l'ouvrage nous expliquent la naissance de cette somme.
Lalettredulibraire.com : Comment est né ce projet?
YANNICK DEHÉE : Ce projet est né en 2002 ou 2003 : il s'agissait à l'époque d'unir les efforts de plusieurs groupes de travail issus de différentes disciplines, en particulier l'Histoire et les études littéraires, pour produire une approche aussi globale et neuve que possible de la presse du XIXème siècle. A l'origine, le livre devait sortir en 2007 ou 2008 : nous avons pris un peu de retard... et l'on comprend pourquoi à la lecture du volume!
Lalettre : Ce livre a-t-il pour ambition de clore l'époque de la presse papier?
YANNICK DEHÉE: Personne ne peut dire que le papier est condamné, même si les modèles économiques de la presse sont aujourd'hui bousculés. L'historien a tendance a prendre du recul par rapport à ce genre de problématiques : quand on relit certaines prophéties des années 1990 sur la disparition inéluctable du papier d'ici 10 à 20 ans, cela permet de relativiser.
Lalettre : Combien de femmes ont-elles réellement créé un journal dans les mois qui ont suivi la loi sur la liberté de la presse de 1881?
Dominique Kalifa : La place des femmes est restée très limitée dans le monde de la presse. Mais il convient de signaler le lancement de La Fonde, créé en 1897 par la féministe Marguerite Durand. Ce quotidien, entièrement rédigé et fabriqué par des femmes, eut des collaboratrices célèbres (Clémence Royer, Séverine, Marcelle Tynaire) et dura jusqu’en 1905.
Lalettre : Il existait un Journal de la librairie. Etait-ce l'ancêtre de Livreshebdo ou bien un magazine professionnel ?
Dominique Kalifa : Un Journal de la librairie est fondé en 1741 par l’inspecteur Joseph d’Hémery pour surveiller le livre dans la capitale : il réunissait les nouvelles concernant l’édition et le commerce du livre à Paris. D’autres périodiques portèrent ce titre au XIXe siècle : il s’agissait effectivement de magazines professionnels.
Lalettre : Aujourd'hui, les marchands de journaux sont inondés de DVD, CD, livres, jouets, etc. Hors, les produits dérivés -l'almanach notamment- permettent déjà de mieux vendre les journaux. Dites-nous en plus.
Dominique Kalifa : Il existait dans le dernier tiers du XIXe siècle des monceaux de produits journalistiques dérivés : prospectus, tracts, vignettes, placards, papillons, cartes postales, almanachs, calendriers, livrets, affiches qui étaient diffusés par milliers. Plus anciens, les prologues et fascicules de lancement de romans-feuilletons atteignaient des tirages record : 4 millions en moyenne vers 1910, avec des pointes à 7 millions. Ces montagnes étaient portées chaque jour par les crieurs qui envahissaient les boulevards et les rues, attirant le chaland par leurs cris, les cornes ou leurs haut-parleurs. Leur fonction était de rappeler l’obsédante présence du papier journal et d’être un instrument publicitaire majeur.
Lalettre : Pourquoi la presse littéraire décline-t-elle à partir du dernier quart du XIXe alors que sa liberté est de plus en plus grande ?
Dominique Kalifa : Elle est concurrencée par une « grande » presse qui joue à la fois la carte de l’information (plus de nouvelles, plus de dépêches d’agences, plus de faits divers, de reportages, d’interviews, qui attirent un plus grand lectorat) et celle du sensationnel. Mais la littérature ne disparut pas, la presse française demeura beaucoup plus littéraire que dans d’autres pays, comme l’Angleterre ou les Etats-Unis.
Lalettre : La création des suppléments littéraires est-elle une mise en valeur de la littérature et de la critique littéraire ?
Oui, bien sûr, il s’agit à la fois d’une forme d’information (se repérer dans l’océan des titres publiés, signaler les titres saillants et les originalités) et d’une forme de régulation où s’expriment les critiques, les sensibilités, les choix des journaux et des journalistes.
Lalettre : La civilisation du journal prend elle la succession de la civilisation des revues du XVIIIe siècle ?
Dominique Kalifa : Non, car les revues du XVIIIe ne concernaient qu’une infime élite. Le journal, au XIXe siècle, invente une culture médiatique qui parle au plus grand nombre et entraine dans son sillage la plus grande partie du pays, qui ne peut ignorer cette nouvelle culture de presse.
Lalettre : Un second volume est-il en préparation sur le XXe siècle?
YANNICK DEHÉE : Nouveau Monde éditions produira sans doute dans les années à venir un "gros" livre de référence sur la presse du XXème siècle, c'est en tout cas le souhait de l'éditeur, pour qui l'histoire des médias est une spécialité. Mais ce ne sera pas un décalque du présent volume, son organisation sera sensiblement différente. Lalettredulibraire.com ©
Remerciements : Yannick Dehée, Dominique Kalifa, Frédéric Durand, Nouveau Monde éditions.