Il y a du Graham Greene (1) chez Robert Littell. Cette façon de faire passer les espions professionnels pour des buses alors que Kim Philby l’amateur, Kim Philby le peureux les fait tous trembler est un régal pour les yeux.
Finalement, Littell a raison, le Grand Jeu porte bien son nom. Seuls les joueurs, ceux qui n’ont pas peur de perdre y trouvent leur compte. À l’inverse, les professionnels - la Tchéka soviétique, le SIS britannique puis la CIA américaine - qui croient tout contrôler, tout maîtriser, tout anticiper, sont condamnés à subir l’échec et l’humiliation.
Philby, Burgess, Blunt ou McLean étaient de brillants sujets de Sa Majesté. Trop brillants pour s’engoncer dans le quotidien de la Grande-Bretagne des années 20-30, fût-ce dans une carrière assurée au SIS, au Foreign Office ou encore dans un fauteuil en cuir du White club. L’ennui - plus que l’idéologie - les a sans doute poussé vers l’espionnage au profit de l’URSS.
Ainsi, Kim Philby s’ennuie au Moyen-Orient dans les bagages de son père. Puis Philby s’ennuie à Vienne avec les communistes, à Madrid avec Franco et ses phalangistes, à Londres comme espion, espion double ou espion triple.... allez savoir. Ses seuls soucis sont ses maux d’estomac soulagés par ses fameuses pastilles Arm&Hammer et son père peut-être... Qui lui donne des maux d’estomac, d’ailleurs....
Robert Littell nous avait ébloui avec « La Compagnie » (2), une fresque sur près de cinquante ans d’espionnage. Avec Philby portrait de l’espion en jeune homme il réussit le même tour de force autour d’un seul personnage, emblématique du monde de l’espionnage du XXe siècle : complètement flou dans sa tête, dans ses gestes, dans sa vie. Même s’il y est écrit « roman » sur la couverture, laissez-vous manipuler par Robert Littell, c’est un plaisir renouvelé à chaque page.
Philby portrait de l’espion en jeune homme
Robert Littell
Points seuil
288 p.7€
4 octobre 2012.
(1) Lire absolument Notre espion à La Havane, Graham Greene, 10/18.
La Compagnie, le roman de la CIA, Robert Littell, Buchet-Chastel (2003) ou Points Seuil (rééd. 2011).