Les_Patrons_de_presse_tous_mauvais.jpgLe Monde est en déficit, le Figaro est en déficit, Libération est en déficit, les Échos, la Tribune etc. tous les quotidiens nationaux français perdent de l’argent. Comment les principaux titres de la presse française en sont-ils arrivés à cette situation ? Comment ont-ils fait pour se jeter dans les bras du « capital » représenté par messieurs Bolloré, Rothschild, Dassault, Lagardère, ArnaultPinault ? Enfin, question subsidiaire mais non négligeable : pourquoi ces grands capitaines d’industries acceptent-ils de perdre parfois de fortes sommes d’argent avec « leurs » journaux sans réclamer de véritables révolutions dans le contenus ou le management ?

Jean Stern est en colère, triste et en colère serait plus juste. En effet, il s’est lui-même réveillé un peu tard – c’est-à-dire quand les jeux étaient fait et les cadenas vérouillés - et n’a pu que constater la mainmise totale du "capital" sur la presse nationale française.

Les patrons de presse, les journalistes français sont-ils des buses ou ont-ils été trompés par des génies du mécanisme financier ? À lire Jean Stern, la réponse est doublement affirmative. Ils ne sont pas fait avoir, ils se sont fait dépouiller de leurs prérogatives, de leurs libertés, de leur pouvoir aussi, gagnés à la Libération, par des petits génies du montage juridique et financier pour mieux étrangler et museler, sans tout-à-fait la taire, la presse française.

Jean Stern fustige l’immobilisme des patrons certes, mais aussi l’incurie et l’irresponsabilité du Syndicat du Livre, dont les syndiqués sont payés deux à trois fois plus que les journalistes et bien sur aux politiques qui n’ont rien tenté, à l’exception du Premier Ministre Alain Juppé en 1995. Enfin à l’État, qui, à défaut d’agir et de réfléchir a toujours préféré payer, subventionner un secteur incapable de faire des bénéfices et de s’autofinancer. Bref, de prendre son avenir en main.

Enfin, les difficultés de la presse sont largement antérieures à l’arrivée d’Internet et de Google. En effet, elles existent dès 1945 et l’absence de réflexion et surtout d’action quant à la création de structures juridiques et financières puissantes qui auraient données à la presse une indépendance autrement singulière. Tout le monde est d’accord pour trouver un nouveau modèle à la presse française mais chacun campe sur ses privilèges, ses positions à la Maginot, ses libertés de plus en plus réduites par l’autocensure.

Sans parler de la baisse du nombre d’acheteurs et de lecteurs. En effet, contrairement à la presse anglo-saxonne, toujours prête à dégainer de savoureux où de sordides dossiers pour vendre du papier, il faut souvent un détonateur pour que la presse française sorte ses dossiers. Il en fut ainsi du comportement de Dominique Strauss-Kahn avec les femmes, parfaitement connus des journalistes, mais dont le dossier ne sortira qu’au lendemain de l’affaire du Sofitel.

L’aristocratie ouvrière – entendre, les ouvriers du syndicat du Livre et de la distribution- sont-ils responsables de la mort de la presse comme des trois H : Hersant, Havas, Hachette ? En effet, les premiers arc-boutés sur leurs salaires mirobolants et leurs privilèges sont objectivement les alliés des propriétaires de journaux dans cette décadence. De plus, « S’ils (les propriétaires de journaux) ne peuvent pas faire de la marge positive avec des journaux au bord de la faillite, feront de la marge négative. C’est différent, mais cela rapporte aussi». En effet, le chapitre le plus savoureux est celui consacré aux holdings – passives ou actives- qui permettent aux propriétaires de journaux d’intégrer les déficits de leurs journaux dans leurs comptabilités générales et de profiter, de fait, de baisses d’impôts !

Ce livre est un cri de colère et une déclaration d’amour au métier de journaliste et à la presse en général. Jean Stern, fidèle à la tradition des éditions de la Fabrique, met les pieds dans le plat et met le doigt là ou ça fait mal. Chiffres à l’appui. La presse nationale française mérite ce qui lui arrive un point c’est tout.

Les Patrons de la presse nationale. Tous mauvais.
Jean Stern
éd. La Fabrique
210p. 13€
15 octobre 2012.

Article publié le 9 novembre 2012.