La rentrée 2012 fut un bon moment pour les éditions du Seuil. Plusieurs récompenses dont le Prix Nobel, Le prix du roman Fnac, le prix Fémina, le prix des prix littéraires, ces trois derniers pour Patrick Deville et "Peste & Choléra". Mais pas le prix Goncourt qui lui a été ravi par Actes Sud (face à Deville justement) et Jérôme Ferrari pour son roman "La chute de Rome". L'année 2013 sera-t-elle celle de la consécration pour Olivier Betourné, aux commandes du Seuil depuis janvier 2010?.
LITTÉRATURE FRANÇAISE
22 août 2013
Le Divan de Staline de Jean-Daniel BALTASSAT
Staline, un Staline qui n’a plus que trois ans à vivre, se retire quelques jours dans sa Géorgie natale. La Vodieva, sa maîtresse de longue date, le rejoint dans le palais décadent où il s'est installé. Elle est accompagnée d’un jeune peintre qu’elle protège. Ce Danilov, prodige du réalisme socialiste, a conçu une oeuvre inouïe pour célébrer la glorieuse éternité du Petit Père des peuples.
Allongé sur un divan étrangement identique à celui de Freud, Staline joue avec les fantômes qui hantent ses rêves : sa mère, son épouse suicidée, ses années de Sibérie et Lénine, le plus grand des pères menteurs. Autour de celui qui ne tremble jamais, il n’y a que terreur, soumissions, impitoyable cruauté : son véritable monument d’éternité.
''Les Saisons de Louveplaine'' de Cloé KORMAN
Nour, jeune femme algérienne, n’a plus de nouvelles d’Hassan, son mari parti travailler en France. Elle prend l’avion, arrive à Louveplaine, banlieue où il a promis de la faire venir avec leur petite fille. Mais, au 15e étage de la tour Triolet, l’appartement est vide. Hassan a disparu. Désemparée mais déterminée à retrouver son mari, Nour fait connaissance avec les habitants de la cité, découvre leur vie, leurs espoirs, leurs secrets. Sonny, bon élève au lycée mais mêlé à tous les trafics locaux, s’impose à elle, tantôt amical, tantôt menaçant. Nour avance à tâtons, alors que la sombre renommée de son mari se dessine sur fond d’économies parallèles et de démantèlements urbains qui mettent la cité sous tension.
La vivacité des scènes et des personnages, l’originalité de l’écriture, l’invention littéraire, donnent une ampleur rare au roman et confirment les dons exceptionnels de Cloé Korman.
Le Dernier Seigneur de Marsa de Charif MAJDALANI
Beyrouth, quartier de Marsad, 1964. Simone, la fille cadette de Chakib Khattar, un chrétien ayant fait fortune dans le négoce du marbre, est enlevée parHamidChahine, le bras droit de son père. Ce rapt amoureux est un déchirement pour Chakib Khattar : obsédé par la transmission de son patrimoine et se heurtant à l’incapacité ou à l’indifférence de ses héritiers légitimes, il a fait de Hamid plus que son homme de confiance, une sorte de fils spirituel. À Marsad, l’affaire fait grand bruit, mais l’enlèvement tourne court, lorsque les deux amants tentent de se marier clandestinement.
Khattar retrouve sa fille, la met sous clé et Hamid prend le large. Il ira travailler en Arabie, mettant sur pied un commerce d’eau de lavande avec des parfumeurs français. Simone, elle, s’émancipera comme elle le peut dans les bras d’amants de passage.
Les années suivantes voient le Liban s’enfoncer dans le chaos, entre 1975 et le milieu des années 1980. Chakib devient alors le témoin impuissant de ces convulsions qui affecteront durement son négoce et compromettront son statut de notable chrétien dans un pays livré aux milices et au chaos.
Je suis né huit fois de Saber MANSOURI
Le souffle d’une vie naît d’une rencontre entre un enfant devenu jeune adulte, Massyre, et un lieu, la Montagne Blanche, particulièrement apprécié par tous les conquérants venus visiter la Tunisie. Le lieu est unique. Massyre est multiple.
Il y a d’abord ses sept soeurs et leurs destins qui le regardent en silence, lui, le garçon, le huitième. Et puis, il y a ses huit métiers : suiveur de chèvres jusqu’à l’abattoir, chercheur de l’escargot souterrain, helix aperta, vendeur de fruits sauvages, d’eau à la criée, de boissons gazeuses, négociant en journaux au kilo et fripier. En parallèle, Massyre va à l’école primaire, au collège, au lycée. À l’université, il fait une rencontre déterminante avec l’Histoire. Il devient professeur d’histoire et de géographie au lycée de la Montagne Blanche. Mais peut-on enseigner le passé dans le lieu de son commerce et de sa grande Histoire?
Renonçant à sa part d’héritage au profit de ses soeurs, Massyre décide de partir au-delà de la Montagne Blanche, à la recherche d’un manuscrit irakien. Mais cette quête du texte tant désiré va-t-elle lui donner la force de se débarrasser définitivement d’une culpabilité proche de la malédiction ?
Le Produit de Kevin ORR
Le narrateur, âgé d’une trentaine d’années, vit à Paris. Son obsession, c’est le Produit. Il s’efforce de ne pas y songer, mais sans cesse revient en lui la sensation demanque. Il faudrait pouvoir penser à autre chose. Changer d’air. Départ pour New York, chez un couple d’amis qui font office de parents adoptifs depuis l’enfance. Ils sont un peu effrayés de le trouver dans cet état, ils le connaissent pourtant depuis longtemps. Quelques jours à la campagne, au bord de l’Hudson, puis retour à New York, puis Paris de nouveau. Comment se délivrer de ce satané Produit ?
Le livre est le journal de bord de cette souffrance créée par le manque, peu à peu compensée par l’écriture. Notamment celle de morceaux romanesques où l’on échappe miraculeusement mais provisoirement à l’obsession du Produit. La littérature prend alors une dimension cathartique, elle seule semble à même de sauver l’auteur, dans une langue nerveuse, irritée, violente, presque syncopée.
L’Échange des princesses de Chantal THOMAS
En 1721, Philippe d’Orléans est Régent, dans l’attente que Louis XV atteigne la maturité légale. L’exercice du pouvoir est agréable, il y prend goût. Lui vient alors une idée de génie : proposer à Philippe V d’Espagne un mariage entre Louis XV, âgé de onze ans, et la très jeune Infante, Maria Anna Victoria, âgée de quatre ans. Un pari sur le temps qui court, l’espoir d’un « malheur » qui l’assiérait définitivement sur le trône. Et il ne s’arrête pas là : il propose aussi de donner sa fille, Mademoiselle de Montpensier, comme épouse au jeune prince des Asturies, futur héritier du trône d’Espagne, pour conforter ses positions.
La réaction à Madrid est enthousiaste, les choses se mettent vite en place. L’échange des princesses a lieu début 1722, en grande pompe, sur une petite île au milieu de la Bidassoa, la rivière qui fait office de frontière entre les deux royaumes. Tout pourrait aller pour le mieux mais rien ne se déroulera comme prévu. Louis XV dédaigne l’Infante, perdue dans l’immensité subtile et tourbillonnante du Louvre et de Versailles, pendant qu’en Espagne, Mademoiselle de Montpensier se refuse à son mari, au grand dam de ses beaux-parents. Un autre échange aura lieu par la suite, beaucoup plus discret, chacune des princesses retournant dans son pays.
LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
22 août 2013
Le Jardin de l’aveugle de Nadeem ASLAM (Pakistan)
Dans les mois qui suivent les attentats du 11 septembre, deux jeunes gens, Jeo et son frère adoptif Mikal, l’un étudiant en médecine, l’autre rompu au maniement des armes, quittent leur bourgade du nord pakistanais pour se rendre clandestinement en Afghanistan, porter secours à leurs frères musulmans. Jeo laisse derrière lui Naheed, la beauté qui est devenue son épouse, et son père Rohan, veuf inconsolable qui perd peu à peu la vue et dont le seul réconfort est son magnifique jardin. Très vite, Mikal et Jeo sont séparés, engloutis dans la spirale des affrontements qui opposent Américains et talibans et dont profitent les seigneurs de guerre sans scrupules.
Dans Le Jardin de l’aveugle, Aslam met en scène avec une empathie exceptionnelle ses personnages dans toutes leurs contradictions, des êtres bousculés, malmenés par le destin. La mort est omniprésente mais la vie aussi, vibrante de couleurs, de parfums et d’amour. Il n’y a qu’une leçon à retenir, celle de vivre à tout prix.
Idiopathie de Sam BYERS (Grande-Bretagne)
Idiopathie idjopati n. f. : Maladie ou état qui apparaît spontanément ou dont la cause est inconnue.
Qui va mal dans le roman de Sam Byers ? Tout le monde, à commencer par Katherine, qui n’aime rien ni personne, et surtout pas elle-même. La trentaine, coincée dans un job minable, enchainant les déceptions amoureuses, elle se demande s’il n’est pas temps de tirer un trait sur le bonheur en général. Ou bien Daniel, son ex, qui vit confortablement avec sa nouvelle petite amie et occupe un poste important dans une unité de recherche biologique. La vie en rose, peut-être, mais sous la perfection des apparences, quelque chose cloche sérieusement. Ou encore Nathan, qui fut leur ami et qui se remet d’un séjour en hôpital psychiatrique, épisode douloureux dont sa mère s’est emparée sans scrupule pour écrire un témoignage en passe de devenir un bestseller.
Idiopathie est une comédie cinglante qui dresse le portrait d’une génération – les trentenaires des années 2000 – et d’une société à la dérive. Styliste hors pair et maître dans l’art de l’autodérision, Sam Byers dissèque les failles d’une époque qui se laisse aller à la mélancolie, même si ce n’était guère mieux avant.
Une enfance de Jésus J. M. COETZEE (Afrique du Sud, prix Nobel 2003)
Le jeune David et Simón, son protecteur, sont arrivés par bateau au camp de Belstar où ils ont été reconditionnés afin de s’intégrer dans leur nouveau pays : nouveaux noms, nouvelles dates de naissance, mémoire lavée de tous souvenirs et apprentissage rapide de la langue locale. Ils ont traversé le désert et ont atterri au centre d’accueil de Novilla qui leur alloue immédiatement un logement et un emploi, ainsi que maints services gratuits. David ayant perdu en mer la lettre authentifiant sa filiation, Simón se fait le serment de lui trouver une mère que son intuition seule désignera. Inés, une trentenaire, est l’élue. Elle accapare l’enfant, dont elle fait sa chose, et le soustrait au système éducatif, par la fuite vers une autre vie.
Coetzee s’intéresse ici au traitement utopique des réfugiés dans un système bureaucratique strictement réduit à son efficacité. Il explore les rapports pédagogiques et tendres entre Simón et David, enfant précoce, parfois cabochard, dans une société purgée de passion, pointant les effets de l’ignorance dans laquelle se trouve un enfant qui ne connaît pas ses parents biologiques.
Le Corps humain de Paolo GIORDANO (Italie)
Le peloton Charlie, envoyé en mission de « paix » en Afghanistan, rassemble des soldats issus de tous les horizons : Cederna, un fort en gueule qui rêve d’entrer dans un corps d’élite, Ietri, son jeune disciple, la blonde et courageuse Zampieri, Mitrano, le souffre-douleur, ou encore Torsu, à la santé fragile. Encadrés par un colonel vulgaire et coureur, un capitaine austère et un adjudant qui exerce parallèlement l’activité de gigolo, ils vont être confrontés au danger, à l’hostilité, à la rébellion du corps humain et au désoeuvrement d’une base avancée, bastion fantomatique au milieu du désert. Mais aussi et surtout à eux-mêmes : leurs craintes, leurs complexes, leurs démons qui les poursuivent à des milliers de kilomètres de chez eux. Jusqu’à cette opération à l’extérieur de la base, qui se transforme en cauchemar et fait voler toutes leurs certitudes en éclats.
Plus qu’un roman de guerre, Le Corps humain est un roman d’apprentissage où le conflit armé apparaît comme un rite d’initiation au monde adulte, et la famille comme une guerre tout aussi redoutable. Giordano fait preuve ici d’une maîtrise et d’une maturité surprenantes pour un deuxième roman. Décidément doué d’une sensibilité hors du commun, il s’y montre un excellent investigateur de l’âme humaine.
(Les résumés sont de l'éditeur).