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LITTÉRATURE FRANÇAISE
21 août 2014

J'aurais dû apporter des fleurs de Alma Brami

jauraisduapporterdesfleurs.jpg « N’apporte rien Gérault, on a tout ! » Toujours cette générosité qui écrase. Ben tiens, c’est vrai, qu’est-ce que je pourrais bien leur apporter, moi, dans leur foyer parfait ! Une pauvre bouteille de pinard ? Qui sera bu le nez bouché avant d’entamer les grands crus de leur cave à vin personnelle. Des fleurs ? Qui se retrouveront dans l’évier, humiliées par tous les bouquets qui, eux, auront eu le privilège de trôner dans des vases. Mieux vaut des mains vides et l’honneur sauf, qu’un « oh, mais fallait pas » qui accable. Fallait pas, vraiment pas, tu nous déranges avec ton cadeau minable, remporte-le. Je ne viendrai avec rien. Rien et mon manteau et malgré tout, peut-être qu’ils auront droit à mon sourire, peut-être, si je suis grand seigneur.

Gérault tente d’offrir une image idéale de lui-même, mais quand on est seul, au chômage à cinquante ans, ce n’est pas chose facile. Homme empêché, il s’interdit de dire ce qu’il pense et retient en lui sa colère, sa violence. Sa voix intérieure prendra-t-elle peu à peu le dessus ? Ironique et tendre, Alma Brami révèle un personnage lucide, terriblement humain, reflet des travers de notre société tout entière.




Véra de Jean-Pierre Orban (250 pages)
VeraHD.jpg Au retour de Rome, quand j’ai aperçu la silhouette d’Augusto dans l’immense hall de la gare Victoria où il était venu m’accueillir, j’ai eu honte. Le train nous avait ramenés. Je ne peux le dire qu’ainsi. Au sens propre. Ce n’était plus nous qui nous emportions. Qui nous lancions vers l’avant comme à l’aller, les cheveux au vent, penchés par la fenêtre, la poussière me battant le visage, venue, on aurait dit, du sol de l’Éden. Le train nous ramenait. Tels des corps que l’on détachait de la terre offerte. On nous reconduisait dans le pays où nous vivions. Mais c’était quoi la vie ? Et c’était où ?

Londres, 1930 : Vera vit à Little Italy avec ses parents, Ada et Augusto, immigrés italiens. Rapidement la jeune fille se laisse enrôler dans une organisation à la gloire de Mussolini. Elle croit naïvement que l’idéologie fasciste lui forgera une identité. Mais l’arrivée de la guerre chamboule ses espérances. Écartelée entre sa langue maternelle et celle du pays d’adoption, Vera se laissera emporter par d’autres dérives. Puis elle croira enfin venu le temps de construire le récit de sa vie et de l’Histoire. De trouver sa vérité, elle dont le prénom signifie «vraie», et de la transmettre… Peuplé de personnages décrits à l’encre noire, ce roman bouleversant nous parle d’identité et de racines. Et de l’espoir, parfois déçu, de les dépasser.

Vera est le premier roman de Jean-Pierre Orban, qui a écrit pour le théâtre et la jeunesse. Il vit entre Bruxelles et Paris.

Le 28 août 2014
Quitter Venise de Anne Révah
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La première fois que je vis Marianne, ce fut au restaurant de la Giudecca où j’avais mes habitudes. À la table juste à ma droite, une femme élégante et un homme plus âgé parlaient français. Il serait plus juste de dire que j’avais d’abord entendu des rires. Des éclats de rire. J’eus envie de savoir ce qui provoquait un tel moment de joie si près de moi. Je jetai vers la femme un coup d’œil que je voulais discret. Je vis ses yeux, verts. Je ne vis que cela. Je tendis l’oreille, et écoutai leurs conversations. Je décalai ma chaise, subtilement, me rapprochant ainsi de leur table. Rien dans mon attitude ne pouvait révéler que je les écoutais.

Violoniste, le personnage principal est embauché par une riche famille vénitienne qui cherche pour son fils Aristeo un professeur de violon et de français. L’installation dans la demeure des Gambardelli, sur les Zattere, se déroule sans heurt. Ce travail lui laisse le temps de flâner dans une Venise secrète et souvent déserte. Des déambulations propices à l’introspection qui lui permettent aussi de s’interroger sur sa propre histoire familiale… Un jour, dans un restaurant, un couple attire son attention : l’homme est aveugle et âgé, la femme, beaucoup plus jeune, lui sert de guide. Quelles sont réellement leurs relations ? Pour découvrir leur secret, il va falloir les suivre, discrètement, dans Venise…

Après Manhattan et Pôles magnétiques, Quitter Venise est le troisième roman d’Anne Révah.

Le 4 septembre 2014
Dialogue d'été de Anne Serre

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'Y a-t-il certains de ces personnages que tu préfères aux autres ?''

Non, dans mon cœur ils sont tous exactement à la même place. Et d’ailleurs, il s’agit peu de « cœur ». Encore une fois, je n’ai pour eux et ils n’ont pour moi aucune affection particulière. Nous n’avons pas de sentiments les uns pour les autres, nous sommes dans l’action. Imagine un petit lot de gens qui pour une raison ou une autre se retrouveraient seuls sur la terre avec pour seul désir celui de vivre. Ce que nous avons en commun et qui nous rassemble, c’est d’être dans la même situation avec la même intention. Notre alliance est indéfectible, muette, tacite, fondée sur une espèce de tristesse que je ne m’explique pas bien.

Un écrivain explique à son interlocuteur – son double ? – comment il entre dans l’écriture et l’imaginaire. Il lui parle de ses personnages, des relations qu’il entretient avec eux. Il lui montre comment il est à la fois dans et hors du roman. Avec une familiarité tour à tour joueuse et impérieuse, il l’entraîne avec lui de l’autre côté du miroir, là où le roman prend corps. Dans ce voyage au cœur de la fabrication d’une œuvre, Anne Serre nous convie, nous, lecteurs, à une expérience unique et vertigineuse.

Anne Serre est l’auteur d’une douzaine de livres dont Un chapeau léopard (prix de la Fondation del Duca, en 2008), Les débutants et Petite table, sois mise !

LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE
4 septembre 2014
Bronx amer de Jerome Charyn (Nouvelles, États-Unis)

Longtemps je n’ai pas pu retourner dans le Bronx. C’était dans mon crâne comme un cri strident, ou une blessure que m’aurait recousue quelque cBronx.jpghirurgien fou et dont je n’osais pas retirer un seul point. C’était un pays dépourvu de tout, un monde sans livres, sans librairies, sans musées, où les pères rentraient à pas pesants de la crèmerie ou de l’usine à chaussures où ils étaient employés, les épaules ployant sous une monumentale tristesse, où les mères comptaient le moindre sou chez le boucher... alors que leurs enfants, tous instruments du désordre, garçons comme filles, volaient, mordaient, brimaient à tort et à travers…

Et voilà qu’aujourd’hui, au fil de treize nouvelles, Jerome Charyn revient dans ce «Bronx amer» où il est né et où il dit avoir tout appris à la dure école de la rue. Très jeune, il y a connu les guerres de gangs, mafiosi, albanais ou cubains et fréquenté des escrocs et des voyous qu’un gamin pouvait trouver magnifiques, des femmes faciles mais si séduisantes, des truands sympathiques – bref les personnages qui hantent tous ses romans.
Mais désormais, le ton s’est durci, la tonalité est plus sombre, « j’entends des cris de guerre au loin », nous dit-il. Ce qui par contre n’a pas changé, c’est ce style inimitable, syncopé, « jazzy » – bref la merveilleuse musique de Jerome Charyn.

Jerome Charyn est né à New York en 1937. Auteur de plus de quarante romans – dont la célèbre série des aventures du commissaire Sidel – , recueils de nouvelles, essais, biographies et bandes dessinées traduits dans de nombreuses langues, c’est un des plus célèbres écrivains américains contemporains. Il vit à New York, après de longues années en France.


Les résumés sont de l'éditeur.