himalaya business.jpegL'Everest est resté inviolé jusqu'en 1953, vaincu par le Néo-Zélandais Edmund Hillary et le Népalais Tensing Norgay. En 1953 donc, seuls deux alpinistes sont arrivés au sommet du monde, un sommet vierge de toute exploration et souillure. En 2019, 876 alpinistes (professionnels et amateurs) ont atteint le toit du monde. Que s'est-il passé entre les deux ? Comme l'Everest en premier mais aussi de nombreux "8000" sont-ils devenus des "spots" touristiques comme les autres ? François Carrel donne les explications historiques, technologiques, commerciales et financières de cette évolutions.

Jusqu'au milieu des années 80, pour Edmund Hillary, l'Italien Reinhold Messner, l'Autrichien Peter Habeler, le Polonais Voytek Kurtyka, le Britannique Doug Scott ou encore les Français Maurice Herzog, Pierre Mazeaud et Pierre Bhégin, gravir les "8000" est un sport, une philosophie réservée à une élite à la condition physique exceptionnelle et au mental d'acier. Des sommets que l'on gravit à coup de piolet, sans bouteille d'oxygène ni corde fixe. On est seul, humble face à la montagne. Et advienne que pourra...

À partir du milieu des années 80, le commerce de l'Everest commence avec des compagnies européennes, américaines ou russes qui gardent un quasi monopole sur les montées jusqu'au début des années 2010. À partir de là, les népalais créent de nombreuses agences touristiques, emploient les locaux, développent des sociétés d'hôtellerie ou encore d'hélicoptère. Ces entreprises sont portées par des sherpas historiques, reconnus au Népal comme dans le monde entier. En 2019 c'est un alpiniste népalais, formé par les commandos britanniques - Nirmal Purja - qui va donner une toute autre dimension aux "8000". Il gravit les quatorze "8000" de l'Himalaya en un temps record, le diffuse en direct sur les réseaux sociaux et accède au rang de star de l'alpinisme.

Si la commercialisation de l'Himalaya et de l'Everest en particulier est déjà grandement enntamée, Nirmal Purja va lancer la financiarisation de l'alpinisme himalayen. En effet, le revers de son record est l'utilisation sans limite d'hélicoptères (pour aller d'un 8000 à un autre, d'un camp de base à un autre), de bouteilles d'oxygène, de dizaines voire de centaines de sherpa pour porter le matériel. Désormais, ce sera la norme pour tout ceux qui voudront gravir l'Everest, notamment les touristes qui veulent un selfie en haut de l'Everest moyennant finance (de 50 000$ à 450 000$ dans le cas d'une princesse du Golfe).

La surfréquentation a bien sur ses revers lorsque "la foule" - comme l'a constaté l'alpiniste français Charles Dubouloz - ne veut pas voir le danger et à plus de 8000m, les morts sont nombreux.

En 2023, 656 personnes ont atteint le sommet de l'Everest (263 clients et 393 sherpas), dix-huit sont mortes. C'est l'année la plus meurtrière de l'histoire de l'himalayisme. Il n'y a jamais eu autant de morts et il n'y a jamais eu autant de demandes de permis pour gravir les "8000". Le Népal est l'un des pays les plus pauvres du monde et de riches clients veulent aller au sommet - quoiqu'il en coûte - et les entreprises d'alpinisme népalaises sont là pour leur offrir. Mais la montagne est impitoyable et la bêtise humaine sans limite car négliger un enneigement trop important ou trop frais, un vent trop puissant ou encore ne pas voir l'amateurisme des clients (à la conditions physique moyenne par exemple) conduit à la catastrophe.

Enfin, les dernières conséquences de cet alpinisme financier sont celles sur l'environnement comme la production de tonnes de déchets organiques, de bouteilles d'oxygène abandonnées, de toiles de tente laissées au camp (car le vent les débarrassera pour laisser la place aux suivantes), les cadavres des mules et enfin, les corps rigidifiés.

de l'alpinisme romantique à l'alpinisme financier, c'est l'évolution de la société des cinquante dernières années qui a été infligée à l'Everest et aux "8000". Il y a une demande ? Il y a une offre ? Où est le problème ? François Carrel conclue néanmoins sur une note d'optimisme en constatant quelques progrès sur la sécurité, la prise de conscience du danger des "8000" ou encore la possible limitation des permis et enfin sur les nombreux sommets encore inviolés de l'Himalaya.

Himalaya business, qu’avons-nous fait des 8 000 ?
François Carrel
Paulsen
160p. 22€
16 mai 2024