Journal de guerre 1939 1943 Morand.jpg RENTRÉE 2020 Quitte à lire le journal d'un collabo, autant lire celui de Paul Morand. C'est bien écrit, le style est classique et sûr, il sait tailler des portraits en deux lignes avec brio - André Gide, Churchill, Giono, Valéry, Darquier de Pellepoix (1), etc. - et puis... dégouline cet antisémitisme de classe, social, évident, naturel chez Morand (2).

Ce journal que Morand n'a semble-t-il jamais corrigé, gommé, caviardé, il l'a donné, en même temps que de nombreuses archives, à la BNF en 1973, à la différence, que ce journal de guerre est dans une malle fermée à clé avec interdiction de l'ouvrir avant l'an 2000. Un objet rare, donc, écrit de la plume d'un homme convaincu de la supériorité de l'Allemagne hilterienne depuis longtemps. C'est aussi grâce à cela qu'il fut l'un des rares écrivains français publiés en Allemagne après 1933 et notamment son roman France-la-Doulce traduit en allemand sous le titre Le camp de concentration du Bon Dieu....

Morand qui fut un collabo jouisseur, désinvolte, prêt à toutes les compromissions pour accéder à l'Académie française, sa seule et véritable obsession depuis plus de dix ans. Si des fauteuils se libèrent régulièrement, il ne peut présenter sa candidature, les élections ayant été suspendues. Las ! Alors, il se concentre sur sa réintégration dans le corps diplomatique afin d'être nommé ambassadeur. Il le sera en août 1943 en Roumanie.

Un journal sans correction sur Vichy (3), c'est l'occasion rare de voir le gouvernement de Laval - que Morand admire - aux affaires, les relations avec les Allemands, la préparation du port de l'étoile jaune (mai 42) et de la rafle du Vel-d'Hiv (juillet 42). Mais aussi les quelques éclairs de lucidité de Morand sur la situation générale (4) ou encore concernant les premières rumeurs sur un débarquement des Alliés, Paul Morand suggère à Laval la création d'un Haut Commissaire au débarquement.

Les nouvelles sont de plus en plus mauvaises pour Pétain, Laval et consorts. L'Allemagne recule partout, les Américains sont en Afrique du Nord, certains collabos d'hier rejoignent Londres mais à aucun moment Paul Morand n'envisage de quitter Vichy car pour lui cette parenthèse, entre un poste diplomatique prestigieux à Londres et le poste d'ambassadeur en Roumanie, aura été un lieu d'observation privilégié des mœurs de la collaboration entre la France et l'Allemagne. Se sent-il concerné ? Oui, car il est convaincu du rapprochement de la France et de Allemagne. Se sent-il coupable de quoique ce soit, un regret, un reproche ? On en trouve pas dans ces 1000 pages...

Ce premier tome s'achève sur son départ pour la Roumanie et son poste d'ambassadeur en août 1943. La lecture du second tome - à paraitre courant 2022 - nous éclairera sur la fin du IIIe Reich, l'écroulement de la collaboration, l'épuration en France (Paul Morand se réfugiera prudemment en Suisse...) ou tout simplement sur le fauteuil qu'il vise à l'Académie française.


(1) Darquier de Pellepoix, antisémite furieux et partisan du massacre des Juifs depuis longtemps, commissaire aux questions juives est selon Morand un homme intelligent, courageux, de bons sens. Mais très gascon, impulsif. (p.69)

(2) "Ce matin, dans le Park, j'ai vu un Juif sur un pur-sang. Toute la noblesse du cheval blanc était écrasée par la masse ignoble et triomphante du youpin ; le plus beau cadeau que l'aryanisme a fait à l'Occident, le cheval, pliait sous cette gélatine ; mon sang russe n'a fait qu'un tour et j'ai cherché un âne pour installer ou plutôt réinstaller le Juif dessus, tête à la queue." (21 avril 1940, pp.183-184).

(3) Un ville presque romantique selon Morand... : Les bruits de Vichy la nuit, le bêlement des moutons dans l'abattoir et l'eau de l'Allier, au barrage, sur les pierres. Ville pleine de fonctionnaires sans bureaux, d'homme d'État sans État, d'aviateurs sans avions, de généraux sans armée, d'amiraux sans bateaux, de sédentaires sans maisons, de voyageurs sans visa, de journalistes sans informations. Depuis deux ans ! (20 juin 1942, p.408).

(4) Il y a dans le monde deux grands express qui partent en sens contraires : l'Allemand et l'Américain. On attachera le wagon de la France à l'un des deux sans lui demander son avis. (10 juillet 1941, p.319).

(4) On sent planer sur tout cela les mauvaises nouvelles de Russie, la peur, l'inquiétude. Ce sera certainement le dernier premier de l'an à Vichy. Les broderies d'or ont disparu, on dirait un gibier prudent qui rentre dans la futaie, par la plus darwinienne évolution. (1er janvier 1943, p.665).



Journal de guerre. Londres - Paris - Vichy (1939-1943)
Paul Morand
Gallimard
Collection Les Cahiers de la NRF
Édition de Bénédicte Vergez-Chaignon
1040 pages, 27€
05 novembre 2020