Bal_des_ambitions.jpgL’A380, la France, l’Allemagne, des espions, des commissions pharaoniques, de grands industriels comme Jean-Luc Lagardère, des egos surdimensionnés et des politiques toujours en retard d’une industrie surtout lorsqu’il s’agit d’aviation.

C’est aussi la fin des guerres franco-prussiennes. Au début des années 70, la France, berceau de l’aviation et l’Allemagne berceau du moteur à réaction s’unissent pour mener un combat sans pitié pour abattre Boeing au fait de sa gloire et de sa puissance. Le constructeur américain s’est rempli les poches grâce à la guerre du Viet-Nam et à un marché domestique gigantesque.
Airbus est aussi une société franco-allemande, véritable symbole d’amitié et de confiance pérenne au sein de l’Union Européenne. Politique, industrie, argent tout est réuni pour un grand roman ... sauf que tout est vrai. Le Bal des ambitions est un condensé de tout cela. Une grille de lecture aussi pour les évènements des prochains mois :

Du 21 septembre au 22 octobre 2009 s’ouvrait à Paris le procès de l’affaire Clearstream dans le cadre de laquelle de hauts dirigeants d’EADS – la maison mère d’Airbus- auraient mis le doigt. Une barbouzerie politico-industrielle digne des meilleurs John Le Carré, à l’issue duquel l’ancien premier ministre Dominique de Villepin connaîtra son avenir politique.
Le 20 novembre 2009 aura lieu le premier vol inaugural de l’A380 entre Paris et New-York, suivi trois jours plus tard, de son premier vol commercial. Le plus gros avion de tous les temps, résultat prodigieux de 20ans de travaux acharnés entre l’Allemagne et la France (mais aussi la Grande-Bretagne et l’Espagne) éblouira le monde par sa puissance et ses fameux kilomètres de câbles. Consécration d’un projet de titans porté par la crème de la crème de la méritocratie à la française : les X-Mines. Si pour Elie Wallash le monde se divise en deux catégories, dans l’esprit de Francis Mer c’est plutôt trois : les X-Mines, les autodidactes qui ont réussi Polytechnique ou l’ENA, et les autres (p.71).

Enfin en 2012, devrait s’ouvrir le procès de dix-sept hauts dirigeants d’EADS dont son ancien président Noël Forgeard. Ils sont accusés d’avoir profité d’informations privilégiées sur les retards de l’A380 pour vendre leurs stock-options avant l’effondrement du cours de bourse d’EADS en mai 2006.
En effet, si les débuts d’Airbus se font indéniablement sous la tutelle politique et industrielle de la France ce n’est plus du tout le cas depuis le début des années 2000. Les Allemands ont ressorti les drapeaux, leur industrie surpuissante dégage des profits records. Enfin, en 2009, après avoir goûté discrètement la réussite de von Braun et de ses ingénieurs qui ont envoyé les Américains sur la Lune, ils fêtent largement les vingt ans de la chute du Mur de Berlin et la réussite éclatante de la réunification. Airbus était un projet politique pour la France afin de maintenir l’Allemagne dans l’ombre. Aujourd’hui, EADS est devenu un projet industriel et les Allemands ont décidé de le prendre en main. Si Jean-Luc Lagardère et Jürgen Schrempp avaient autorité sur leurs équipes, ce n’est pas le cas de leurs successeurs. Côté français on hurle au retour des « Boches », ambiance...

Mais les sentiments n’ont rien à faire dans un secteur où le chiffre d’affaire « officiel » est de 1200 milliards de dollars. En effet, la conquête des marchés Russe et Chinois, estimés respectivement à 500 et 2700/2900 avions d’ici à 2030, ne pourra se faire sans commissions ou cadeaux faramineux (comme un Airbus ou une roseraie réfrigérée de plusieurs kilomètres en plein désert par exemple). Il est loin le temps ou «en France, les commissions étaient déclarées auprès du ministère des Finances et de l’Economie et réintégrées dans les comptes au titre de frais commerciaux » (p239). Aujourd’hui, pour ne pas se retrouver devant un tribunal, il ne faut pas franchir la ligne jaune : le problème c’est qu’elle se déplace (p.243). On a aussi de l’esprit dans l’industrie.
L’avenir passe par des alliances politiques, technologiques et financières, avec les Chinois notamment, afin de garder de l’avance. Le bal des ambitions ne fait que commencer.

Le bal des ambitions
Yann Le Gales, Véronique Guillermard
Robert Laffont.

__Article publié le 23 août 2009._